Pendant 18 ans (3 en rase campagne et presque 10 en Finlande), il y a eu dans ma vie un homme pour qui avoir raison était la clef de tout échange. Son existence était, disait-il, centrée sur une certaine recherche de la vérité. Ce que je trouvais balèze comme but dans la vie.
Juste avant de le rencontrer, j’avais beaucoup étudié des textes de spiritualités diverses, des piliers de pensée pour beaucoup d’entre nous. Et l’idée suivante revenait souvent : arrête de vouloir avoir raison car c’est le début de la sagesse autant que du bonheur. J’étais d’accord mais de l’information à l’expérience il y a comme qui dirait un gouffre.
A l’époque, j’étais déjà très au fait des impasses environnementales et sociales devenues bien bien visibles depuis. Et donc, pour partager tout ce dont j’avais conscience, il était crucial pour moi d’avoir raison. De sentir que j’étais "du bon côté" et, potentiellement, de pouvoir convaincre.
A partir de là, j’ai sincèrement cru détenir quelques vérités. Sur moi-même, sur le monde, sur les autres. J’avais un égo au top (et, je vous rassure, c’est toujours le cas mais dans une perspective très différente).
Mais à vouloir avoir raison, j’ai été "ben malheureuse" comme disait la petite mémé normande que j’adorais.
La confiance que cet homme avait dans son intelligence et sa brillance était telle que j’ai un peu remisé "mes vérités" et j’ai commencé à soutenir les siennes.
Je l’ai regardé "penser jusqu’au bout". Et sa pensée a donné Lytefire, créé 100% au départ pour les réfugiés et les personnes vulnérables en Afrique. On pourra dire ce qu’on veut de ce qu’il est devenu, il a pensé cette entreprise et nous a fédéré autour de lui. Ou fasciné.
Malheureusement, il était aussi très tordu. J’ai servi de puching ball intellectuel pendant des années. Jusqu’au dégoût absolu de toute tentative de "j’ai raison". Les miennes, les vôtres.
Moi, ce qui me fascine et me motive c’est de penser jusqu’au bout. Même si c’est pas confortable. Même si c’est pas cool. Faire cet effort là qui demande oui, du courage, mais aussi de la bienveillance.
Car la vérité, c’est aussi une question d’amour. Amour de soi et amour de l’autre. Tout cela vient avec du respect, forcément. Et là, les dialogues platoniciens redeviennent possibles...
Je rêve de vraies discussions de fond sur l’environnement, la RSE et la justice sociale. Et j’espère bien trouver ce que je cherche !
*** La peinture est de Maria Gordon et j’ai écrit ces notes suite à la lecture de cet excellent texte de Christopher Laquieze du 3 avril 2025***
"Chacun sa vérité" est le mensonge préféré de ceux qui refusent de penser.
Nous vivons une époque où dire "c’est ma vérité" suffit à clore une discussion.
Où toute contradiction est vécue comme une agression.
Où le simple fait d’avancer une vérité est parfois perçu comme une forme de violence.
Comme si la vérité devait être douce, adaptée, individualisée.
Comme si le réel pouvait plier devant les émotions.
Mais non.
La vérité n’est pas une expérience subjective.
Elle est ce qui résiste, ce qui ne se laisse pas modeler par nos affects.
Personne ne conteste le théorème de Pythagore.
Pourquoi ? Parce qu’il ne dérange personne. (Cf Etienne KLEIN)
Il ne remet en cause ni une idéologie, ni une identité, ni un privilège.
Il se contente de dire : dans un triangle rectangle, a² + b² = c².
Personne ne s’en offusque.
Personne ne répond : "Oui mais moi, dans ma vérité à moi, c’est plutôt a³."
Parce que cette vérité-là ne touche pas l’ego.
Elle n’humilie personne.
Elle ne bouscule aucune croyance intime.
Mais dès qu’une vérité s’approche de notre monde moral, affectif ou politique, dès qu’elle pointe une contradiction entre ce que nous sommes et ce que nous prétendons être, alors elle devient insupportable.
On ne la réfute pas.
On la relativise.
On dit : "Oui mais chacun son point de vue."
C’est une manière élégante de fuir.
La relativité n’est pas le signe d’une pensée libre.
C’est parfois le masque d’un refus de penser jusqu’au bout.
Bien sûr, tout point de vue mérite d’être entendu.
Mais tout point de vue n’est pas vrai.
Entendre une subjectivité ne signifie pas lui donner le même poids qu’à un fait.
Sinon, on confond la sincérité avec la justesse.
Nous avons confondu le droit d’avoir une opinion avec le droit d’avoir raison.
Mais on peut être sincère, touchant, blessé et se tromper quand même.
Entrer dans une époque où toute vérité devient suspecte, c’est préparer le terrain à toutes les manipulations.
Car si tout se vaut, alors tout peut se justifier.
Et si tout peut se justifier, alors plus rien ne peut être dénoncé.
Ce n’est pas la vérité qui est devenue relative. C’est notre capacité à la supporter qui s’est effondrée.
Parce qu’elle ne demande pas d’être crue.
Elle demande d’être affrontée.
Et cela, peu de gens y sont réellement prêts.
Il ne s’agit pas d’imposer une vérité unique, mais de rappeler que sans tension vers le vrai, nous ne
faisons que tourner en rond dans le miroir de nos propres certitudes.
La vérité n’est pas une question de perspective. C’est une question de rigueur, et parfois même, de courage."