Depuis quelques années, on sort des décennies de poubelles, et c’est indispensable de le faire évidemment. C’est grâce à la parole des victimes et à toute la lumière portée sur des faits désespérants que nous sommes en mesure de "voir", et que la société peut espérer changer.
Il faut reprendre courage. Et l’art est là pour nous. Comme cette chanson si forte de Suzanne.
L’art comme je l’aime.
Fier, libre, responsable, engagé.
J’ai reçu la violence plusieurs fois dans ma vie. Je vais parler ici de l’immense décharge des violences physiques et de sa puanteur.
Je me sens mal. J’ai la nausée. Cette prédation destructrice est partout.
J’avais déjà eu la nausée avec le père Preynat, près de Lyon, qui a attaqué des enfants pendant 19 ans. Et aussi avec un pensionnat atroce dont j’ai oublié le nom dans le nord de la France. Mais depuis quelques mois c’est encore plus fou.
Mazan. 20 ans de prison pour le mari. 49 co-accusés.
Bolhem B., dessinateur pour Disney et Pixar, voyeur à distance de dizaines d’attaques de fillettes en Asie. 25 ans de prison.
L’Abbé Pierre, 57 victimes recensées.
L’ex-chirurgien Le Scouarnec, 299 victimes recensées dont l’âge moyen était de 11 ans au moment des faits.
G. Miller, une cinquantaine de plaignantes de 15-20 ans au moment des faits.
PPDA et une bonne dizaine de victimes, avec un comportement problématique connu depuis des lustres.
Le scandale Matznef porté par V. Springora, puis l’enquête de Libé sur les « Hommes de la rue du Bac » impliquant J.-F. Revel si je me souviens bien.
Et maintenant Betharram. 200 plaintes.
Les mots d’Andréa Bescond, le film de cette femme, son spectacle, sa danse, ses posts noirs sur Instagram à la limite du supportables mais en même temps si personne ne parle de ces horreurs, comment les amener sur la place publique ? Je repense à l’un d’entre eux en particulier, parlant d’un notable qui proposait sur internet à des personnes d’humilier ses propres enfants, et qui n’a pas écopé d’une peine démente. Je pense à Adèle Haenel, à Vahina Gioccante, à Judith Godrèche, à Camille Kouchner dénonçant l’inceste enduré par son frère, le beau-père prédateur n’étant rien moins qu’Olivier Duhamel, journaliste star, prof à Science Po’ et dirigeant du très puissant cercle "Le Siècle".
Je pense à Neige Simmo, l’auteure de Triste tigre, qui, j’en suis certaine, est une merveille et que je lirai peut-être un jour. Ses mots traduits dans plein de langues qui iront parler à d’autres victimes, mais ne changeront rien aux monstres puisque c’est toute la société qu’il faut changer. Que c’est si lent de le faire mais qu’il faut le faire inlassablement.
Ces personnalités publiques parlent et c’est très bien. Leur lumière les protège. Mais toutes les autres ? Les obscures ? Les sans-voix ? Les anonymes ?
Je pense à Christine Angot dont on s’est tant moquée et qui voyait souvent si juste. Je pense à un des récits de Toni Morrisson que je n’avais pas bien compris à l’époque car j’étais très jeune et qui me revient de plein fouet.
Et à mon dégoût viscéral de toute littérature dégradante avec les enfants et les femmes, de Nabokov à Albert Cohen en passant par la chanson Lemon incest, à toutes ces colonies de vacances toxiques mer et montagne, à cette association nauséabonde entre l’amour passion et la mort, de Carmen au meurtre de Marie par le rocker lâche.
Et je ne parle même pas des scandales américains…
Et puis nous.
Cette immense prédation contre les femmes, les jeunes et les enfants. Pas par tous les hommes certes, mais toujours par des hommes.
Je pense à ce jeune musulman lâchement assassiné en pleine prière. Je pense aux Palestiniens, aux Juifs, aux Femmes, aux esclaves, aux victimes de toutes les formes possibles de racisme, de domination et d’intolérance. Je pense à toute cette haine alimentée sans relâche encore et encore et encore et au monde qui commence à ressembler de plus en plus à une décharge géante, au sens propre comme au sens figuré. Je pense que toute cette violence prend des formes différentes mais qu’elle vient du même endroit.
Je me demande si nous n’aurions pas besoin de cesser de réagir à des contenus, de nous remettre à penser ensemble, de nous ressaisir d’urgence pour apaiser la source de toutes les haines, d’oser nos dialogues authentiques et nos solidarités limpides, de faire des paris pétris de bienveillance et de lâcher toutes nos étiquettes.
Bref, de nous positionner beaucoup plus clairement face au mal. A tout le mal.
Parce que parfois je ne sais plus si notre époque est une lente agonie ou une lente renaissance.