La population de la Finlande contemporaine frôle à peine celle de la France médiévale. Une grosse poignée d’humanoïdes largement entourée d’immenses forêts.
On compte souvent les hommes, pas les arbres ou bien au poids.
Ce matin comme souvent je me suis levée avec une gueule de bois dont l’effacement fait désormais partie de ma gymnastique quotidienne.
Le coup est venu depuis l’autre côté de l’Atlantique et n’en n’était pas moins fort : il s’agissait d’être informée au réveil que Halliburton, fournissant à BP un béton reconnu comme défectueux pour sa plate-forme du Golfe du Mexique, acceptait de plaider coupable, reconnaissait avoir détruit des preuves et devait finalement, trois ans après les faits, s’acquitter du MAXIMUM de dommages possibles, soit, tenez-vous bien, 200 000 USD.
Une paille.
La chape de plomb m’est lentement descendue sur la nuque, les épaules et les flancs, à me donner, comme souvent, le vertige et la nausée en même temps.
Mais tout autour du coeur et puis dans le bas-ventre, ça fourmillait et ça ne se rendait pas. Je pensais aux semences, à la forêt tout autour de moi où s’activent les écureuils, à Julia Butterfly Hill en haut de son séquoia, à ceux du Moulin de Busseix, à ceux des Bosnages et de l’épicerie bio de Rancon, aux fromages de Marie, à la maison de paille d’Aymeric, à la sensation de la naissance de ma petite fille arrivée ici, à la maison, entre une belle guitarre et une pile de services de presse, à mon envie pressante et parfois oppressante de remettre les mains en terre et cet apprentissage qu’il me faut refaire, d’une langue et d’une terre, ici, en Finlande.
Le fourmillement m’est remonté dans le gosier, me détendant les artères, soulevant le plomb. La vie revient souvent par les pieds et le contact nu du sol, la marche et l’air de la route, qui va, qui vient.
Combien sommes-nous ?
Combien sommes-nous à voir vraiment ce qui se passe, combien sommes-nous engagés là, dans cette résistance à la prédation, dans cette affirmation d’une humilité - car non, l’humain n’est pas tout-puissant et oui, nous nous inscrivons dans des cycles mais certainement pas en haut d’une pyramide, combien sommes-nous à ne plus pouvoir supporter aucun compromis avec ce système mortifère, combien sommes-nous à avoir trouvé notre voie, une voie et à tenter, semer, biner, sarcler, des idées, des mots, des semences, des habitats, des relations, des techniques, avancer pas à pas, je ne sais pas, je ne sais pas.
La fin de l’histoire, je m’en moque - écrivain, je n’ai jamais cru à la linéarité artificielle des récits d’un certain vieux monde avec un début un milieu une fin, c’est du pipeau. Tout est cycle, tout est simultané dedans dehors sans beaucoup de différences.
La fin m’importe peu car rien ne finit jamais vraiment mais, hum, j’aimerais tout de même savoir combien, oui combien nous sommes à nous tenir là, vaillants, patients (enfin, pas tous), déterminés, enragés parfois, créatifs tout le temps, freinés souvent, découragés, mais encouragés aussi.
Et si l’aspect révolutionnaire de toutes nos tentatives alternatives parfois brillantes, parfois hésitantes vous échappe alors tant mieux. Passons encore pour des doux dingues et que cela nous protège de toute sur-exposition, et donc de prédation.
Combien ici là-bas ailleurs combien ?
A vivre dans des huttes, des yourtes, des HLM ou des fermes, seul ou en communauté, en couple ou par paire ?
A refuser le plus possible de soutenir tout ce en quoi nous ne croyons pas ?
Heureux de pouvoir accompagner le petit producteur local, si.
Heureux de voir qu’il reste encore des ruches dans le coin.
Combien à n’avoir aucun budget "vacances" mais à avoir appris à nous soigner nous-mêmes ?
A n’être reçus dans aucun cercle important et à ne rien souhaiter posséder mais savoir dormir à la belle étoile en toute sécurité ?
A ne manquer de rien de matériel, à savoir vivre de peu, si peu parfois, à retrouver l’énergie de nos mains génialement bricoleuses et de nos paroles fabuleusement créatrices.
Combien ici là-bas ailleurs combien ?
Ni pauvres ni riches ni blancs ni rouges ni noirs juste humains combien ?
Ce matin-là, j’ai eu envie d’aller voir ailleurs si nous y étions. De prendre mes petites et mon mari sous le bras et de filer comme je le faisais jadis quand je me sentais plus seule encore. Plus simple à dire qu’à faire. D’autres l’ont fait pour moi et par leurs yeux, ce qu’ils ont vu m’a fait du bien.
Ce matin-là c’était La voix du vent, écoutez-la.