Vers Baracoa
El pensiamiento y la cocienza puede mas que el terror y la muerte.
Écrit sur un mur à 11 km du centre polytechnique Lénine sur la route de Baracoa. Les yeux partout, baisser la voix, tenir les secrets, la moitié de l’île surveille et dénonce l’autre. Voilà.
Un mystère résolu : on sait enfin où finissent les bus ATAF de Florence. Uscita. Entrata. Ils sont là les vieux bus florentins. Et oui.
Montagnes splendides, acérées, saturées d’humidité avant Baracoa, la Farola. Oui, de très beaux paysages et sur le bord des routes, inévitables, les messages propagandistes de Fideldad.
Plus jamais, plus jamais de voyage où je n’ai fondamentalement pas envie d’aller : qu’est-ce que j’étais censée penser en passant ce matin par Guantanamo ? A part vomir ? Haine du verbe Avoir.
Baracoa
Rarement ressenti autant de douceur et de consolation qu’en regardant le balancement des palmes des cocotiers. Vent léger. Puis une longue, intense et chaude pluie tropicale. On peut voir une île dans l’horizon bleu métallique. La Jamaïque ?
Les Cubains eux-mêmes oscillent beaucoup entre amour et rejet de leur pays. Cette oscillation ne me quitte pas – je ne veux ni juger, ni rien – et d’ailleurs, rien. Je regarde depuis ce que je tente d’être. Je regarde et voudrais être ailleurs que plantée devant cette arrière-cour de Baracoa où broute le mouton le plus famélique que j’aie jamais vu, au milieu des ordures, petit terrain de foot improvisé où trois gamins tapent une boîte, une misère surmontée de la façade la plus lépreuse qui soit. En réalité, ma colère a changé et je ne sais pas encore le dire. Je n’ai plus de colère envers « le monde », mais j’en ai envers ma faiblesse, la nôtre, la vôtre.
Toute la journée : « psitt, psitt, me voy encasare my amor... » vraiment, toute la journée, une sollicitation incessante, le bruit, la pollution. Je suis une femme, blanche, riche, une cible... Parce que même si je pose autre chose, si je tente autre chose, si je suis en réalité le contraire d’une touriste, mon apparence me désigne comme telle.
Je me demande si l’entreprise acceptera, comprendra que je dépense presque la totalité de l’enveloppe de frais à offrir médicaments, cahiers, nourriture ? Je fais le pari que oui. Qu’est-ce que c’est cette somme aux yeux des énormes bénéfices du groupe ? Une paille... Qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Rester là à serrer les sous dans ma poche en accélérant le pas sans m’arrêter, sans écouter, en faisant semblant que c’est trop sympa ici ? Plutôt crever. Bien sûr qu’elle est belle la mer, et la nature aussi par endroit, et les gens si souriants et le lait de coco, mais bon, le reste, désolée, je n’arrive pas à le mettre de côté. J’ai pas encore assez intégré ce haut degré d’indifférence schizophrénique moderne. Je rachète ma lâcheté d’avoir accepté de partir.
Jeorge, Yoannis, Raudelis, Arletis, enfants pépillant qui partagent avec moi en rigolant un bon chocolat chaud en la Casa del ciocolate.
Les Cubains de Baracoa préfèrent aller au rìo qu’à la mer. Le dimanche, ils y cuisent le cochon à la broche en famille, c’est un lieu heureux pour eux.
Une jeep jaune canari, de 1952, production CCCP, sur la route vers la plage de Maguana et tous ces gens qui attendent un transport quelconque. Cheveux, porcs, chèvres, poules, petits chiens. Niňos y campesinos. Baracoa très humide, pauvre, pauvre, si pauvre...
Holguín
Vivante différemment et moins stressante. Le « restaurant 1720 » très chic, surréaliste, qu’il me faut tester pour le guide. Un plat de dés de mimolette (?) avec 4 olives et 3 tranches fines fines de tomate. Puis un filet de poisson archi-cuit à l’ail sans ail, du manioc, des petits-pois. Fort heureusement le lieu est aussi accessible aux Cubains.
Un grand-père prend le frais en pyjama dans son fauteuil à bascule sur un pas de porte et m’interpelle en me proposant ce qu’il a de mieux : un verre de lait. Dans la maison : néons, murs noirs, quelques vieilles photos des enfants, un vieux lit, rien. On s’embrasse. Je pars dans la nuit fraîche et douce, sous Orion. Ici, quelques magasins, un peu d’animation, un peu moins de colle aussi. Cette révolution en déroute, ce passé, cette époque, aussi celle de Luther King, de Kennedy, des hippies, ces espoirs, tous ces espoirs, ont-ils pu être dilués à ce point ? Ces espoirs envers lesquels à Cuba les acteurs de l’époque conservent une tendresse. Des routes pleines de gens qui attendent, qui marchent, et aucune publicité à part les phrases du régime. Pas de bus mais des vélos, des voitures préhistoriques, des camions à bestiaux bondés de gens.
Hasta que Dios lo queria...
Lire la suite : De Guardalavaca à Trinidad
(c) Eva Wissenz