C’est comme un petit caillou qui tangue, passe et repasse au fond du gosier, que je voudrais cracher et qui finit par franchement m’irriter. Le caillou persiste sur plus de 500 pages le long desquelles elle pagaie, face à l’épine costale chilienne. Il persiste et m’énerve.
Je sais bien que c’est inévitable, je sais bien que l’écrivain-voyageur écrit des voyages qui parlent de ce qu’il voit, et de lui.
Tout est affaire de goût, évidemment mais j’ai une préférence pour les carnets de voyage où l’auteur tend à la disparition – à quoi bon voyager si ce n’est pour se quitter ? J’étais d’autant plus gênée de ce caillou que Karin me remerciait chaleureusement dans son livre de l’avoir aidée à « libérer » son écriture...
Je sais, je râle.
Je suis une râleuse, on me l’a déjà dit, et c’est en râlant que j’ai pris cet avion pour Cuba. A reculons.
Jamais de ma vie je n’avais eu si peu envie de partir. Il faut dire qu’il s’agissait à l’époque d’aller y mettre à jour un guide touristique – ce métier de rêve dont je commençais à avoir fait le tour et que je me rendais supportable en débusquant le plus possible des adresses « alternatives » pour me masquer que ce travail n’avait qu’un seul et unique but : m’assurer un revenu sans m’enfermer dans un bureau et augmenter les profits d’une énorme entreprise de pneus dont la logique est la suivante : en vous incitant au voyage, vous louerez des voitures et donc utiliserez leurs pneus.
Au départ, l’enjeu de cet accord fut bien entendu masqué par la nouveauté et le rêve d’être payée pour voyager, en Europe du Sud notamment puis jusqu’à Cuba. Je me trouvais en porte-à-faux complet avec moi-même : un pays magnifique m’attendait peut-être, mais j’avais surtout en tête un pays pauvre qui a besoin de choses plus essentielles qu’un flot de touristes venus se rafraîchir la vie sur les plages. Un pays politiquement complexe. Bref, tout sauf une carte postale acidulée. Tout sauf une destination touristique.
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(c) Eva Wissenz