Texte et photos de Gary Wockner
Les Lakota et TreesWaterPeople (TWP) s’inspirent tous deux de visions du monde bien établies pour créer quelque chose de nouveau. Les Lakota ressuscitent les bisons de leurs anciennes traditions et TWP installe des chauffages solaires, résultat de techniques modernes.
Cleo Weasel Bear affiche un large sourire en montrant aux visiteurs la salle de séjour encombrée de sa caravane par ce jour ensoleillé du mois de mars. « C’est ici que je couds mes couvertures étoilées » nous explique-t-elle en nous montrant une de ses précieuses créations, une couverture d’un blanc passé avec une étoile bleue chatoyante cousue sur le dessus. Les couvertures étoilées ont une grande valeur dans la culture lakota - elles symbolisent une révérence profonde pour les corps célestes qui nous entourent - et le visage de Cleo rayonne de fierté. « Mais je n’ai pas vraiment pu travailler ici cet hiver, pas de chauffage » ajoute-t-elle. « Je dors à côté, chez ma fille. » Comme beaucoup de femmes dans la réserve indienne de Pine Ridge, la vente d’objets artisanaux est sa seule source de revenu.
Le chauffage n’est pas le principal problème de Cleo. On lui a récemment diagnostiqué un cancer et les visites du médecin ainsi que les traitements en cours rendent son futur incertain. Son sourire est en totale contradiction avec ses difficultés. Elle fait visiter rapidement à ses invités - deux entrepreneurs, une anthropologue du Colorado et moi-même - sa caravane et sa cour. Ses mots sont pleins d’optimisme.
Nous sommes venus chez Cleo à son invitation, pour décider de l’endroit où installer un système de chauffage solaire. Nous reviendrons demain et après-demain avec une équipe, des outils et du matériel. Mais en faisant le tour de sa caravane, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer d’autres détails. Des vêtements sont empilés dans toutes les pièces ; quelques endroits plats sont dégagés pour s’asseoir ou dormir. Des fenêtres sont brisées et recouvertes de plastiques, il y a les trous dans les murs. L’eau ne fonctionne pas. La caravane est entourée de détritus - déchets ménagers, épaves de voitures et de camions et jouets cassés. Quelques chiens sympathiques nous suivent et me lèchent le bout des doigts.
Le même scénario se répète dans toute la réserve. Plus tard dans l’après-midi, nous nous rendons en voiture jusqu’au village de Porcupine pour visiter la petite maison de Shirley Bisonette, qui a également demandé un système de chauffage solaire. Shirley ne se sent pas bien et reste dans sa chambre devant la porte de laquelle se trouve son fauteuil roulant. Angel, son ami nous fait visiter.
L’état de la maison de Shirley est pire que celui de la maison de Cleo. Le toit fuit et le plafond qui s’écroule littéralement est rapiécé avec des morceaux de plastique agrafés pour retenir l’isolant qui s’affaisse. Quelques fenêtres brisées sont également bouchées avec du plastique. Les murs intérieurs sont ponctués de trous et défraîchis par les années. Dans la cuisine, la cuisinière et l’évier sont cassés. Le seul appareil pour cuisiner est un petit réchaud et l’unique source de chauffage est un poêle à bois à moitié cassé.
Dehors, les chiens nous suivent à nouveau et Angel nous montre la façade orientée au sud. Plusieurs épaves de voitures, des amas d’ordures et un gros tas de déchets ménagers sont dispersés dans le jardin. Une pile de bouts de bois peint est entreposée devant la maison. Ces morceaux de bois servent à se chauffer quand les temps deviennent durs et que la famille ne peut pas se payer du vrai bois de chauffage.
Cependant, dans ces deux foyers de la réserve, un élément fait briller une lueur d’espoir. Le soleil, appelé wi en Lakota, inonde la réserve et baigne les murs orientés au sud des maisons de Cleo et Shirley. Demain, wi changera le futur de ces deux femmes.
Plus de bras, moins de travail
Le jour suivant commence tôt. Nous sommes logés chez Richard Sherman au village de Manderson, dans la réserve. Richard est un biologiste de la faune qui travaille maintenant comme guide dans la réserve et s’occupe du troupeau de bisons de la tribu. La nuit dernière, Richard et moi avons parlé longuement des bisons, un projet entrepris récemment en collaboration avec l’organisation de la militante indienne Winona LaDuke (candidate des Verts à la vice-présidence américaine, ndt.), Honor the Earth. Les bisons représentent une culture nouvelle (mais également très ancienne) du développement durable pour de nombreux Lakota, un concept qui intéresse de plus en plus de monde à Pine Ridge. C’est ce même concept de durabilité qui a amené notre groupe dans la réserve.
Alors que Richard quitte la maison pour aller s’occuper comme tous les matins des bisons, notre groupe de visiteurs charge les outils et l’équipement et se rend jusqu’à l’Oglala Lakota College (OLC) de Porcupine pour une réunion matinale et un cours d’initiation à l’énergie solaire. Je suis accompagné de Cindy Isenhour, une anthropologue venant d’achever sa thèse de master sur la réserve. Cindy occupe le poste de directrice du développement pour l’organisation à but non-lucratif Trees, Water and People (TWP) basée à Fort Collins, Colorado, qui travaille sur un programme consacré aux terres tribales de Pine Ridge. Elle assure la liaison culturelle pour les programmes du groupe à Pine Ridge.
En plus de Cindy et moi, notre groupe comprend Alison Mason, ingénieur/installatrice d’équipement solaire sous contrat avec TWP et Don Alvarez, un autre installateur également engagé par TWP. Alison dirige une petite entreprise d’équipement solaire à Fort Collins et travaille comme expert-conseil pour concevoir et mettre en place le programme solaire de TWP sur les terres de la tribu. Bien que son impact à Porcupine aujourd’hui soit limité, il se fait sentir bien au-delà de la réserve. Pour ce projet et pour d’autres, Alison s’est vue décerner récemment le titre de « Solar Woman of the Year » par l’American Solar Energy Society.
Le campus de l’OLC à Porcupine est un petit bâtiment comprenant des locaux administratifs et six salles de classe. Dans l’une d’entre elles, 30 élèves écoutent attentivement Alison qui leur fait un bref exposé sur le réchauffement climatique avant de décrire les équipements solaires spécifiques qui seront installés plus tard chez Shirley Bisonette. La plupart des étudiants sont en âge d’être à l’université et suivent des programmes pour être charpentiers ou électriciens. Un autre groupe d’étudiants, plus jeunes, suit le programme tribal Youth Build, destiné à les aider à obtenir une équivalence de diplôme supérieur et d’autres compétences.
La mission de TWP dans la réserve est unique et provocatrice. En 2002, le groupe a organisé une réunion avec plusieurs agences et chefs de tribus pour étudier la mise en place d’un projet basé dans la réserve. « Notre but, » explique Cindy, « était d’approcher la réserve sans préjugés et sans ordre du jour. Nous voulions commencer un programme et nous voulions le définir avec l’aide de la tribu. » De nombreux groupes ou agences, ajoute-t-elle, viennent dans la réserve avec leurs propres programmes, mais comme avec de nombreux plans de développements « étrangers » aux Etats-Unis, ou ailleurs, le succès est souvent limité ou de courte durée.
« Ce qui est également ressorti de cette réunion », continue Cindy, « était que de nombreux habitants de Pine Ridge avaient du mal à assumer leurs dépenses en énergies. De nombreux foyers parmi les plus pauvres sont exclusivement chauffés au bois ou à l’électricité, deux sources d’énergie qui restent chères. Dans certaines situations, jusqu’à 50% des revenus du ménage sont utilisés pour se chauffer. »
Fort de cette information, TWP a mis en place deux programmes en accord avec sa mission environnementale plus large : un programme de chauffage solaire et un autre de plantation d’arbres. Le programme de chauffage solaire est conçu pour offrir une assistance immédiate et tangible. De plus, TWP espère trouver et former à Pine Ridge un entrepreneur local pour construire et installer les chauffages. Pour atteindre ces objectifs, Cindy et Alison ont obtenu des subventions de l’Agence de protection de l’environnement, de la Bob and Kati Rader Foundation, de la Bush Foundation (aucun liens avec la famille présidentielle) et des nombreux donateurs individuels de TWP. Plusieurs installations solaires ont été terminées avant notre visite et plusieurs autres sont en projet.
Après le cours d’initiation au collège, Alison et Cindy partent faire un autre exposé à un autre groupe d’étudiants dans le village de Pine Ridge, le siège du gouvernement de la réserve. Don et moi restons à Porcupine pour aider et pour superviser l’installation chez Shirley Bisonette.
Alors que nous roulons en direction de chez Shirley, je revois rapidement les plans et les croquis d’Alison. Je ne suis pas membre de TWP et c’est ma première visite dans la réserve. Cindy m’a permis de venir et d’écrire à propos de cette expérience à condition que j’aide à installer les systèmes. J’ai amené une boîte à outil de charpentier et j’essaye de faire bonne figure. Don a installé deux unités auparavant, je le harcèle donc de questions pendant le trajet.
Le système de chauffage solaire d’Alison fait appel à une technologie simple. Il est constitué d’un grand panneau orienté plein sud. L’arrière du panneau est peint en noir, l’avant est une surface de verre, la chaleur est récupérée dans un espace de 8 centimètres entre ces deux surfaces. A l’aide d’un système de gaines flexibles, l’air est aspiré de la maison dans l’unité solaire, passe dans le panneau et retourne à l’intérieur. Un thermostat d’intérieur et un interrupteur de commande permettent de réguler la température. C’est une source de chauffage qui ne fonctionne que le jour, utile ici dans la réserve où la majorité des habitants, surtout les femmes, travaillent à la maison. La nuit, les foyers utilisent des moyens de chauffage traditionnels, généralement le bois.
A mesure que nous déchargeons le camion et parlons du projet avec les étudiants, mon travail commence à m’apparaître plus facile. Les étudiants de l’OLC et de Youth Build forment une sympathique équipe de charpentiers et d’électriciens qualifiés, qui s’y connaissent beaucoup mieux que moi en climatisation.
Don supervise l’équipe et nous divise en trois groupes : un groupe à l’extérieur chargé de monter le panneau contre la maison, un groupe pour faire des trous dans la cloison afin d’installer le système de gaines et les électriciens pour installer et brancher la soufflerie. En plus d’écouter et de regarder, je prends des mesures à l’aide d’un mètre et d’un stylo pour l’équipe qui installe le réseau de gaines. Ces jeunes hommes et femmes de la tribu Lakota font ce travail avec beaucoup de sérieux et le nombre important de bras rend la tâche plus facile.
Nous badinons et plaisantons tout l’après-midi au son d’un mélange de rock’n’roll et de musique traditionnelle Lakota qui s’échappe du poste de radio de la cuisine de Shirley, réglé sur KILI, la station de la réserve. Pour mes oreilles profanes, le rythme et la hauteur des chansons Lakota donnent un aspect irréel, presque inquiétante, à la prairie qui entoure la maison. Cela me prend un moment pour réaliser à quel point ma réaction est paradoxale ; la musique rock existe depuis 50 ans, la musique Lakota depuis un millier d’année ou plus.
Au bout de trois heures, le travail est presque terminé. Il ne reste plus à Alison qu’à revenir le lendemain matin pour inspecter l’installation et effectuer le dernier branchement. Nous reculons pour admirer le panneau. Cela aura été une bonne journée de travail - de l’énergie bien dépensée pour un résultat tangible et visible.
Après le départ des étudiants et après que nous ayons chargé le camion avec Don, Angel nous invite à prendre le café. Shirley est toujours couchée quand nous entrons dans la cuisine et lorsque je demande de ses nouvelles, la seule réponse d’Angel reste, « elle ne se sent pas bien. » Angel a environs 60 ans et a une grande brûlure scabieuse sur le bras ainsi que plusieurs tatouages visibles. « J’ai glissé et je suis tombé sur ce poêle la semaine dernière, » dit-il en indiquant sa brûlure.
De nombreux clichés d’enfants sont suspendus au-dessus de la table. « Ce sont mes enfants et mes petits enfants, » nous dit-il avec fierté. Les photos cornées et déchirées sont le cœur de la cuisine. En fait, il n’y a pas beaucoup de choses à faire à part les regarder - il n’y a qu’une chaise face à la table et le reste des murs et des surfaces sont couverts de vêtements, de trous et de crasse.
Angel à 9 enfants dont la plupart sont grands et vivent ailleurs. Seul l’un de ses fils vit à la maison. Certaines personnes sur les photos sont décédées, comme Estrelita, sa petite-fille de deux ans.
« Mon père a eu 20 enfants, » nous dit Angel. Don et moi laissons échapper un « whaou ! » d’une seule voix, et manquons de nous étouffer avec notre café. Angel à vécu presque toute sa vie à Porcupine. Son fils est à l’école de Porcupine en bas de la route. Une autre de ses filles a obtenu son diplôme récemment et sa pampille de diplômée est pendue à côté de sa photo. On peut lire sur la petite plaque de métal qui y est accrochée : « Quills, » (piquant en anglais, ndt), le nom de la mascotte de l’école. Les porcs-épics (porcupines en anglais, ndt) sont des animaux importants dans l’art et l’artisanat Lakota. Leurs piquants sont récupérés, teints et utilisés dans la fabrication de bijoux.
Alors que notre discussion devient plus amicale, Don déclare « j’étais à la Ketchum Indians High School. » Nous ricanons tous à la connotation évidente. Je me rappelle alors de mon école et ajoute « j’étais à l’école des guerriers Watseka. » Angel enlève immédiatement sa casquette et montre son crane chauve en disant, « vous voulez me scalper les gars ? » Nous éclatons tous de rire. A Pine Ridge, le rire n’a pas toujours été au rendez-vous.
L’espoir au milieu de la pauvreté
La réserve indienne de Pine Ridge a été et continue d’être le point zéro des relations complexes entre l’Amérique et ses peuples indigènes. Les Oglala Lakota ont été les derniers à succomber à l’avancée des blancs à la fin du 19ème siècle, une époque qui s’est terminée par le massacre de Wounded Knee en 1890. Les frontières actuelles de la réserve, dans le coin sud-ouest du South Dakota et qui englobent Wounded Knee, existent à cause d’une histoire longue et compliquée de traités rompus et de terre qui rétrécissent.
Tout au long du siècle passé, ces relations ont été marquées par les problèmes beaucoup trop familiers des réserves indiennes : les déplacements forcés, l’apprentissage forcé de l’anglais dans des internats et les incohérences flagrantes du gouvernement américain. De nombreux habitants de Pine Ridge parmi les plus vieux ont grandi dans ces internats et se souviennent de la volonté initiale, voir de la doctrine derrière la construction de ces écoles. « Tuez l’Indien, sauvez l’homme » était la devise du général Richard Pratt, ancien commandant d’un camp de prisonniers de guerre indiens qui fonda le premier internat fédéral en dehors d’une réserve en 1879.
En 1970, cette histoire a contribué à galvaniser la politique tribale et a mené au développement de l’American Indian Movement à Pine Ridge. La réserve est revenue au point zéro, les tensions ont atteint leur point culminant en 1973 avec le soulèvement armé de 71 jours à Wounded Knee, souvent surnommé « Wounded Knee II ». Les mois de désordre qui ont suivi ont été marqués par une présence massive du FBI puis par les meurtres de deux agents fédéraux pour lesquels le membre de la tribu Lakota Leonard Peltier a été condamné en 1975. Cette période de chaos a été immortalisée par plusieurs livres et films, et, dans toutes ces histoires, la réserve est dépeinte comme au centre de luttes de pouvoir et de conspirations à la fois au sein des tribus et entre les membres des tribus et le gouvernement américain. Même le ton de notre hôte, Richard Sherman, d’ordinaire si posé, se durcit quand il parle de ces évènements. « C’était une période très dure dans la réserve, » affirme Richard. « De nombreuses personnes ont été tuées. Tout le monde portait une arme à feu, même mes parents qui étaient instituteurs. »
Nos déplacements dans la réserve nous ont conduit à Wounded Knee plusieurs fois. Le petit village est un amas dense de maisons et d’appartements mis en place par le gouvernement. Juste à côté, on peut visiter le musée historique de Wounded Knee, un bâtiment de couleurs vives aux nombreuses faces en forme traditionnelle hogan. De l’autre côté de la rue, en face du musée, une plaque commémorative en métal rappelle le chaos de 1890. Là où on pouvait lire avant « bataille de Wounded Knee », une pièce de métal avec le mot « massacre » à été fixée sur le mot « bataille. » En plus du musée, sur une petite colline, une large pierre commémore la tombe commune des massacrés.
Ces cinq dernières années des conflits, moins graves, ont éclaté sur la réserve. Des militants Lakota armés ont envahi plusieurs fois le siège du gouvernement tribal dans le village de Pine Ridge pour montrer leur opposition aux autorités que beaucoup de Lakota considèrent trop alignées sur leurs surveillants fédéraux. Pendant mon séjour, j’ai entendu trois débats sur KILI discutant des raisons pour lesquelles le gouvernement tribal devrait être renversé. Récemment aussi, un groupe de militants Lakota armés à pris possession de la partie sud du Badlands National Park à l’intérieur des limites de la réserve et à tiré des coups de feu sur des visiteurs et des employés du parc. Ces militants affirment que le service d’entretien du parc pille des sites archéologiques sacrés.
Bien que les incidents violents de Pine Ridge aient bien diminué, les conditions qui les ont entraînés sont toujours bien présentes. Le taux de chômage approche les 80% ; on compte beaucoup de sans-abris et d’alcooliques et le taux de suicide est très élevé. La réserve abrite le comté le plus pauvre des États-Unis depuis ces quarante dernières années. D’autres maux tangibles, tels que les maladies chroniques, sont une vraie épidémie dans la réserve. Lors de notre visite, plus de la moitié des habitants âgés que j’ai rencontrés souffraient de diabète.
Le village de Porcupine reflète les problèmes sociaux et de logement de Pine Ridge. Il compte environ 150 maisons - des logements sociaux plus récents, beaucoup de caravanes et plusieurs maisons en très mauvais état comme celle de Shirley. Dans toute la réserve, les statistiques du recensement et d’autres rapports fédéraux, d’État, et tribaux, dépeignent la même situation. Sur les quelques 3 500 habitations de la réserve, environs 1 sur 50 est en très mauvais état comme ceux de Cleo ou de Shirley. Au moins la moitié sont en meilleur état mais nécessitent quand même des améliorations significatives dans leurs structures ou leurs équipements.
Au milieu de cette pauvreté, la réserve ne manque pas d’aide et d’attention. La liste des organismes internationaux, fédéraux, d’État ou tribaux ayant créé des fonds, des programmes, des aides ou des bourses d’étude est longue de plusieurs pages. De même, les groupes philanthropiques ou religieux sont venus par dizaines, certains pour rester et d’autres non. De nombreux particuliers - pour certains d’anciens habitants de la réserve - ont fait de la lutte contre la pauvreté et les problèmes sociaux l’engagement de leur vie.
Hollywood s’est également intéressé à la réserve, fasciné par les Oglala Lakota de Pine Ridge. Plusieurs fictions et de nombreux documentaires ont été filmés ici. Durant ma visite, j’ai croisé plusieurs personnes qui avaient rencontré ou qui étaient en contact avec des réalisateurs hollywoodiens. Tous les artisans que nous avons rencontrés pouvaient nous montrer un bijou ou un vêtement en disant, « cet objet a été utilisé dans Cœur de Tonnerre » (ou dans un autre film). A un moment, on vendait même les peintures faites par Leonard Peltier dans sa prison pour des milliers de dollars, au milieu des souvenirs d’Hollywood.
Les dirigeants politiques ont également « découvert » la réserve. En 1999, Clinton est devenu le premier président américain à visiter une réserve indienne en 50 ans et le premier à visiter Pine Ridge depuis Calvin Coolidge dans les années 1920. Il était accompagné de sénateurs, de députés et de chefs d’entreprises. Dans son discours, Clinton a fait des remarques appuyées à propos d’importants PDG qui proposaient des programmes économiques pour Pine Ridge et de l’engagement du gouvernement fédéral en faveur de la réserve. Mais peu de choses ont changé : La pauvreté persiste.
Étant donné le poids de l’histoire et d’autres choses encore, TWP doit faire face aux difficultés matérielles et au scepticisme du peuple Lakota. Quand le groupe a approché la réserve, il s’est vite rendu compte que la tribu et son environnement hésitaient à accepter d’autres plans de développement, programmes ou projets de création d’emplois.
TWP doit également faire face à la question habituelle et décider de qui reçoit quoi. Comme dans toute tentative de service environnemental, la ligne entre aide et « ingénierie sociale » est plus floue que partout ailleurs. Est-ce que TWP doit apporter une « petite aide supplémentaire » pour sortir un foyer du rouge ou est-ce qu’il doit investir ses ressources là où on en a le plus besoin ? Est-ce que les familles doivent aider à installer ou payer pour le projet ? Est-ce que les ressources doivent bénéficier à une famille qui souffre d’alcoolisme, où l’argent ne servirait qu’à acheter plus de bière ? Qui est responsable ici - les individus, la culture Lakota, le gouvernement tribal, l’État, le gouvernement fédéral ? Si l’on détermine une responsabilité, en quoi cela peut-il changer les efforts de TWP ? Est-ce que TWP doit travailler avec d’autres organisations pour mettre en place une stratégie cohérente de reconstruction des foyers, et, si oui, comment organiser et financer une telle coalition ? Il y a beaucoup plus de questions que de réponses.
Comme n’importe quel groupe écologiste à but non-lucratif, TWP dépend des donateurs individuels ainsi que des bourses accordées par des fondations ou par le gouvernement. Mais la compétition est rude et, pour que les propositions soient finançables, les projets doivent être tangibles, transparents et donner des résultats à court terme. Les projets cohésifs et les projets d’ingénierie sociale à long terme ne remplissent que rarement ces critères.
Malgré ces difficultés, le projet de TWP a été un succès. En plus des installations solaires réalisées à ce jour, deux hommes de la tribu Lakota ont approché TWP pendant notre visite se disant intéressés par la construction et l’installation de panneaux solaires. Deux autres habitants de Pine Ridge ont exprimé leur volonté d’aider TWP à faire passer l’information et à organiser des ateliers. Ces habitants, à l’instar de Cindy et Alison de TWP, pensent que l’énergie solaire peut aider les Lakota à étendre davantage leur connexion traditionnelle à la terre et à la nature.
Depuis les activités de l’American Indian Movement dans les années 1970, un groupe de Lakota peu nombreux mais déterminé travaille à Pine Ridge pour rétablir des liens avec la culture traditionnelle. Le troupeau de bisons de Richard Sherman, l’organisation Honor The Earth de Winona LaDuke, font partie intégrante de ce mouvement. Certains Lakota qui habitaient dans d’autres villes américaines sont revenus dans la réserve, certains sont retournés sur leurs terres rurales pour fonder à nouveau de petits clans familiaux ou Tiyospaye. En fait, certains bénéficiaires de chauffages solaires ont fait appel au programme de TWP précisément pour pouvoir rester dans leurs habitations rurales, près de leurs familles, connectés à la terre dans l’espoir de maintenir leur culture traditionnelle. Pour résumer, si les systèmes solaires sont mis en place de façon appropriée, ils offrent aux Lakota une source d’énergie autonome, durable et virtuellement gratuite. L’énergie solaire peut apporter plus d’autonomie aux Lakota. Wi peut les aider à faire revivre leur culture.
Un jour nouveau
Le matin suivant, Alison et Cindy nous rejoignent, Don et moi, alors que nous quittons la maison de Richard et traversons Wounded Knee pour retourner chez Shirley Bisonette dans le but de terminer son nouveau système. Plusieurs étudiants de Youth Build sont venus pour nous aider et voir le travail achevé. Alors que certains d’entre nous travaillons sur l’unité de Shirley, d’autres étudiants assemblent le système de soufflerie et les composants électroniques qui serviront à monter le chauffage solaire de Cleo Weasel Bear plus tard dans l’après midi.
Ce système de chauffage solaire simple est relativement bon marché dans la mesure où les panneaux ont déjà été utilisés. En tout, le système coûte environ 1 000 dollars avec des panneaux usagés et 1 700 avec des neufs. Les informations rassemblées par Alison montrent que ce système permet d’économiser entre 20 et 40% du coût de chauffage d’une maison. L’utilisation des panneaux va également permettre de réduire la consommation de bois de chauffage, une ressource chère et de plus en plus rare dans la réserve. La famille de Shirley économisera probablement 75 dollars par mois, suffisamment si tout va bien pour lui éviter d’avoir à brûler des chutes de bois peint, qui remplissent sa cheminé de créosote et sont sûrement toxiques.
Alors que nous finissons l’installation de Shirley, les étudiants de Youth Build posent devant le nouveau système avec Angel et Joel le fils de Shirley. Directrice de liaison et de développement de TWP, Cindy est inflexible, « il faut que les visages sur les photos soient des visages Lakota. Pas de blancs. Nos donateurs veulent voir des visages Lakota. » C’est une réflexion intéressante, elle symbolise la nature complexe du travail environnemental à but non-lucratif et les relations compliquées qu’entretient l’Amérique avec ses Peuples Autochtones. Les « visages Lakota » font vendre le programme et génèrent de l’argent.
Il n’est pas difficile aujourd’hui de répondre aux exigences de Cindy. Les visages Lakota sont six fois plus nombreux et les étudiants sont très motivés pour nous aider, persévérer et achever le travail. Une fois le travail achevé, les Lakota, ainsi que Don et moi reculons pour apprécier notre œuvre. Les donateurs et les bailleurs de fonds peuvent être rassurés : le projet fonctionne. Dans le monde des projets de services environnementaux, rarement un tel progrès n’aura été effectué en aussi peu de temps et avec si peu d’argent. Si seulement tous les problèmes de Pine Ridge pouvaient être résolus aussi facilement.
Quand nous retournons dans la maison, Shirley est sortie du lit et se sent apparemment mieux. Elle est assise dans son fauteuil roulant dans la cuisine, près du dangereux poêle à bois. Ses béquilles sont posées contre le mur à côté d’elle.
« Shirley, vient voir ça, » appelle Angel, et il la pousse dans son fauteuil jusqu’à la petite salle de séjour près du conduit de ventilation d’où l’air s’échappe à une température de 35 degrés Celsius (il fait environs 10 degrés dehors). Shirley se baisse et met la main devant le conduit. « Lila waste » - « très bien » - dit-elle en Lakota. Elle nous regarde alors, sourit et dit, « Pilamaya ye, » qui peut se traduire approximativement par merci ou littéralement par « sentir bien-moi-vous-faire. »
Plus tard le même jour, cette scène se répète chez Cleo. Les étudiants de Youth Build sont également là et à nouveau le travail avance vite. Cleo est jusqu’ici la plus exubérante et la plus démonstrative des habitantes s’étant fait installer ce système. Une fois le montage terminé, elle nous invite à dîner et nous partageons du pain indien frit, un ragoût de bœuf et un wojape, un dessert Lakotaàbase de pêches. Les enfants jouent, les chiens aboient et la conversation résonne jusqu’à la caravane de sa fille et bien au-delà.
Avant que nous partions, Cleo retourne dans sa caravane nouvellement chauffée alors que nous restons chez sa fille. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons et la voyons occupée à réarranger la salle de séjour de sa caravane - son atelier. Elle a organisé sa table de couture et une grande couverture étoilée partiellement terminée est posée dans un coin. Cleo déborde d’énergie, elle affiche un grand sourire et des yeux brillants. Nous lui disons au revoir et elle nous remercie une fois de plus. Bien qu’elle ne le dise pas, on peut lire dans l’expression de son visage : Hihani ki anpetu tokeca, que l’on peut traduire approximativement par, « demain est un jour nouveau. »
Gary Wockner, Ph.D., écrit sur l’environnement et est chercheur en écologie à l’université du Colorado à Fort Collins. Il a édité récemment le livre Comeback Wolves : Western Writers Welcome the Wolf Home.
Article reproduit avec l’aimable autorisation du magazine l’Etat de la planète : http://www.delaplanete.org/