Grand frais de nord puis de nord-est. L’eau est à 0°, l’air aussi. On est à l’ancre. On est à l’abri. Attendons.
Hier. On débarque sur une plage de sable. Sur les rochers, la laisse de haute mer est un éperon de glace. Le granit s’effrite sous les bottes. On monte doucement dans la brume. On marche contre le vent pour se repérer. On foule du mouillé. Des coussinets couleur de suie, des éponges vert vif ou rouge dense, des pompons rêches blanc cassé, des rosettes d’herbe dure jaunâtre, des pelotes où sont fichées des fleurs miniatures, et une multitude d’étranges formes biscornues couleur d’os. Comme des bois de rennes minuscules. On foule des dalles gris noir, glissantes et bancales. On arrive en haut d’un névé qui descend vers une mer grise cerclée de glace. Le nord de l’île. Trois ours en file indienne marchent au bord de l’eau. A notre vent.
Bon mouillage. On ne bouge pas. La neige volette. Sur un belvédère de pierres noires, une tache de neige remue de temps à autre. L’ourse et ses oursons ont fait le tour de l’île. Couchés les uns contre l’autre. A la poupe du bateau, Tristan joue de l’accordéon. Des flocons sur son pull. Les ours ont levé la tête. Leur truffe noire.
Aujourd’hui. Un autre mouillage. Bon. Il neige. On débarque. Des glaces échouées. Une flottille de bécasseaux picore le bord de l’eau. Une plage de sable. Des bois qui ont beaucoup flotté, pas mal spongieux. Des étangs d’eau rousse. On prend. Du combustible. De l’eau. On marche sur le dos de l’île. La toundra réticule la terre gorgée d’eau. Des dalles acérées se dressent dans le marécage roux. On marche travers au vent, pour se repérer.
(c) Karin Huet, en longeant la Sibérie le 30 août 2009.
Texte publié avec l’aimable autorisation de Karin.