Sur la planète Ambroisienne qui n’a pas d’océans comme les nôtres où la vie a pu s’élaborer progressivement à l’abri de tout regard critique, rejetant pour finir sur une plage un être désormais soumis à toutes les tractations du sec et de l’humide, un métis, venu sécher au soleil son corps imbibé d’eau salée, l’air semble avoir été l’agent de liaison idéal des premières rencontres, des premiers attouchements. Dès lors on ne saurait s’étonner que les Ambroisiens, dans un climat plus léger où la pesanteur n’exerçait pas la pression matérialiste d’une attraction terre à terre, se soient dotés d’un système de reproduction très différent de celui qui nous est coutumier. Et les analogies qui nous permettent d’en approcher le mystère sont-elles beaucoup plus qu’un mirage de mots toujours prêts à faire de l’homme le centre du monde.
L’Ambroisien, doté d’un tube pollinique qui projette au grand air sa semence sous forme d’une poudre impalpable, pourrait féconder sans le vouloir toutes les femmes situées dans un rayon de dix kilomètres à la ronde. Il suffirait d’un peu de vent fou. Or c’est ici précisément qu’on peut accuser l’auteur de ces lignes de réfléchir avec la désinvolture du mammifère évolué pour qui la diffusion n’a pas d’autres lois que son propre élan. Il en va bien différemment chez les habitants de la planète Ambroisienne dont la retenue est un des caractères dominants. L’Ambroisienne a la tête en forme de corolle qu’elle peut d’ailleurs ouvrir et fermer à sa guise. Elle ne s’en fait pas faute. Seules quelques rares jeunes personnes se promènent volontiers la tête entrouverte, à contresens du vent, espérant qu’un miracle...
L’Ambroisien dont la morale est aussi peu voisine de la nôtre que son anatomie, est dans la réalité très jaloux de sa semence qu’il ne libère qu’à bon escient. Il y faudra la proximité délicatement touchante d’une Ambroisienne dans toute sa fleur. Le conduit dont j’ai parlé, et qui se situe pour lui sous le chapeau, autorise quand il l’enlève, un tête-à-tête intime des plus prometteurs. Que sa partenaire se découvre à son tour, et les voilà libres d’entamer le dialogue. Se penchant légèrement, l’Ambroisien s’introduit alors au coeur de sa conquête jusqu’à performer une fine membrane hyménale qui va le mettre en contact direct avec sa poche ovarienne. Son tube pollinique muni sur sa partie ventrale de petits yeux à facettes, lui permet de grossir démesurément la réalité qui l’entoure et de procéder à une opération très précise, généralement sans douleur pour celle qui en est l’objet.
L’Ambroisienne, émue par un travail d’approche à la fois si délicat et si sûr, répond à tant de virtuosité par l’épanchement de la sensibilité la plus vive : elle libère une liqueur sucrée qui imbibe leurs deux organes et provoque dans la tête de l’Ambroisien une décharge comparable à notre coup de foudre. Mais les sentiments chez eux étant directement transposables, sans passer par le long circuit des artères et des veines qui les expose chez nous au refraîchissement du souvenir comme aux distractions du moment, provoquant dans leur crescendo des retards et des alterations manifestes, la semence s’échappe aussitôt, se colle au nectar déjà répandu et s’exhalant au-dehors entour nos deux amants d’un fin halo de poussière dorée.
La famille admise au spectacle se livre alors de concert au même ensemble d’attouchements silencieux. Les Ambroisiens qui ne sont pas cruels et dont les liaisons ne sont plus perfectibles, ignorent tout du supplice raffiné qu’est devenu pour nous l’exercice de la parole.
Pierre Bettencourt
In Histoire naturelle de l’imaginaire paru aux éditions Lettres Vives en 2007.
Trois photos de Surma, peuple de la vallée de l’Omo (Éthiopie) par Hans Silvester
Les tribus de la vallée de l’Omo (Éthiopie) sont les Konso, connus pour leurs statues et leurs cultures en terrasse, puis plus au Sud les Ari (100 000 pers.), les Banna (35 000 pers.), les Bodi (2 500 pers.), les Bumi (6 000 pers.), les Dizi, les Hammer (30 000 pers.), les Karo (1 000 pers.), les Koygu, les Mursi (5 000 pers.) porteurs de petits plateaux, les Surma (40 000 pers.) utilisant la couleur, les Dorze avec leurs beaux tissus et leurs maisons-ruches... tous pasteurs ou agro-pasteurs.
En savoir plus (si possible) sur la beauté de la vallée : http://www.grands-reporters.com/La-peinture-sur-soi.html