Eva Wissenz
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Le visible et l’invisible

Samedi 17 mars 2018, par Eva Wissenz

C’est le titre d’un essai remarquable et complexe de Maurice Merleau-Ponty sur la peinture.

Je pense au monde de l’Art, à ce monde de peinture, de plaisir, d’esthétique, d’harmonieuse beauté que j’ai tant aimé, un monde témoignant que des hommes cherchèrent le Beau, et firent de ce désir d’union le but de leur vie.

Ce monde compte toujours mais la splendeur des visages des vivants, l’urgence de servir m’en éloigne et il me reste la transcendance des Vierge siennoises, une phrase de concerto, ce cheval noir qui se roule à terre au tout début d’Andreï Roublev, tant de beauté, partout, à toutes les époques. Et là, dans cet art si souvent spirituel, se logeait quelque chose de l’invisible. A la fois espoir, refuge et consolation.

Dans les bosquets, les poteries, les figures, chaque plante, chaque grotte, la nuit étoilée et tout l’océan, la vie enfin, tout était Art de Vivre, tout était visible et invisible mêlés.

Je me demande où sont les artistes pour témoigner encore de la beauté et de l’espoir ? Où sont-ils ? Je ne doute pas qu’ils existent mais je me demande pourquoi ils sont si peu visibles ? A l’heure où le mécénat le plus vil s’expose et se refait un semblant de virginité sur n’importe quelle exposition d’ampleur (*).

De quoi est donc fait notre invisible aujourd’hui ?

Pour le croyant, peut-être reste-t-il fait de divin, c’est probable, en discuter n’est pas ici mon propos.

Croyant ou pas, pour tout un chacun, il y a actuellement un invisible à l’œuvre. Qui n’a plus rien de poétique, plus rien de beau ni de mystérieux, hélas. Un invisible créé par nous.

Voici la liste de ce qui le compose, de tout ce qui échappe à nos sens :
– les déchets nucléaires polluants et dangereux pendant des siècles,
– les semences OGM qui empoisonnent la biodiversité,
– la mauvaise qualité de l’air qui s’infiltre dans nos poumons,
– la qualité de l’alimentation chargée de résidus toxiques,
– la qualité de l’eau chargée des mêmes résidus,
– la souffrance hors de vue des animaux utilisés par l’industrie pour les steaks et les rouges à lèvres,
– le changement climatique avec son lot de catastrophes naturelles,
– nos esclaves lointains, tous ces bras qui travaillent à moindre coût pour produire nos tonnes de machines, voitures, trucs, gadgets.

Le visible de cette toxicité ce sont les maladies de pollution, les sols épuisés, 70% de la diversité des fruits et légumes qui a disparue en quelques dizaines d’années... la liste est hyper-longue et j’ai pas envie de la faire.

L’invisible divin relève de la foi, l’invisible artistique de l’amour et celui dont je parle, cet invisible destructeur du vivant, nous l’avons créé de nos mains, il est à strict hauteur d’hommes. Nous avons collectivement réussi à créer de la mort partout. L’écologie n’est plus alors que le nom moderne de la conscience de nos liens multiples avec le vivant.

Et ne me dites pas que tout ça n’est pas lié, ça l’est. L’énergie qu’on utilise est tout aussi importante que la nourriture qu’on met dans le corps de nos enfants. Tout est incroyablement lié parce que cette co-création morbide est le fruit d’une vision collective basée sur des croyances.
Des croyances débiles et dangereuses, certes, mais des croyances humaines et, en un sens, cela donne espoir qu’elles puissent être défaites un jour. Il est même probable que cela soit en cours.

Reste que nous ne savons que faire de cet invisible toxique qui dérange le mythe sacré d’une science entièrement bénéfique à laquelle nous pourrions nous en remettre aveuglément au sein d’une industrialisation, ou disons d’un développement 100% positif. De plus en plus, la science répond aux conséquences tragiques de cet invisible morbide, validant ainsi des évidences, apportant des "preuves" de toxicités à foison, et aucune solution. Car la solution n’est ni technique ni scientifique en premier lieu.

Fukushima explose. On pare au plus urgent. Et puis ? Qu’est-ce qu’on fait ? Rien. On continue. Et on continuera tant qu’il n’y aura pas de perception consciente de toute cette toxicité à l’oeuvre dans l’invisible contemporain.

Ce qui me semble important maintenant c’est d’accepter de regarder. Parce que pour qui veut voir, alors cet invisible devient visible. L’avidité, la domination, la peur et la prédation qui sous-tendent ces créations humaines se dévoilent et toutes ces prétendues "avancées" s’effondrent... Le diable est tellement dérisoire, même à grande échelle.

Nous savons dominer l’atome, nous savons créer des semences stériles, nous savons extraire, transformer, dominer. Mais nous ne savons pas gérer nos déchets. Nous ne savons presque plus cultiver un potager sans chimie. Nous ne savons pas résoudre un conflit sans être plus violents encore. Nous ne savons rien.

Il suffit d’ouvrir les yeux, de le vouloir, dans la pleine lumière de la conscience, et tout se retourne. On rencontre alors le vrai courage et il devient possible de commencer à participer aux bourgeonnements de solutions un peu partout. Et on devient tous de grands alchimistes !! Des grands alliés de la création !!

Finalement, cette question du visible et de l’invisible me semble être devenue aujourd’hui une question de vie ou de mort.

(*) BP et Shell, par exemple, financent énorménent d’expositions, ici). On vient de voir Chanel couper des arbres pour la déco de son dernier défilé.


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