Quand j’étudiais les Arts, que je me régalais de cette beauté passée, sublime, si inspirée qu’elle m’incitait à me dépasser, à chercher, à creuser, quand je baignais dans cette atmosphère de grande et puissante harmonie où il me semblait que l’humain donnait le meilleur de lui-même, je me souviens que livres et professeurs mentionnaient des "petits maîtres", des maîtres d"une seule pietà" ou encore un "maître de telle vallée ou de tel faubourg".
C’était à propos de l’Ecole Sienoise, certains Flamands, des hommes de Bourgogne, et puis leurs présences à tous dans tous les musées de province. A force de les côtoyer, d’être souvent plus retournée par leur travail que par celui des "grands maîtres", je me rendais compte que ces "petits maîtres" sans noms propres étaient fort nombreux. Et que pratiquement aucun "grand" n’aurait jamais accouché de rien sans les artisans, les artisallons, les artiseurs, les apprentis, équivalent anciens de nos stagiaires contemporains.
J’ai retrouvé la notion de maître dans la spiritualité, cet impératif récurrent d’avoir, de rencontrer, trouver, chercher, son maître. Une idée qui donne vie à toute une littérature parfois discutable mais parfois saisissante sur l’alchimie profonde qui peut réellement avoir lieue dans une transmission dont l’objet est une révélation d’un soi qui n’est plus soi.
Ces derniers temps, j’entends de plus en plus de gens prendre leur courage à deux bras et se lancer sur le périlleux chemin d’un changement, d’une remise en question profonde de leurs valeurs, de leur métier, de leurs actes quotidiens et leurs conséquences sur autrui, et sans école, sans public, sans botteghe, sans presque personne (re)devenir vaillants, vivants. Qui sont nos petit maîtres dans l’art de vivre. Héros ordinaires qui peuplent déjà le monde de demain pratiquant chaque jour d’évidents secrets.
Eva Wissenz
janvier 2012