L’écrivain c’est « celui qui va au marché, qui regarde partout, qui ne vend rien, qui n’achète rien et s’en va en emportant tout » disait Albert Cossery (1913-2008).
Cet immense écrivain était une figure familière de ma jeunesse. Je le voyais souvent dans le quartier de Buci, près de Saint-Germain-des-Près, où j’ai passé des années.
Un jour, j’ai osé l’aborder. Je venais de terminer la lecture de Mendiants et orgueilleux et j’étais sous le choc. Il venait toucher des sujets qui m’étaient déjà très chers comme le dénuement et sa richesse, l’humour qui sauve de tout, la liberté, et la forme très orientale du récit venait réveiller des échos d’enfance heureuse en moi.
Il vivait dans un hôtel pas loin. Je l’ai donc abordé, le cœur tremblant, il était déjà vieux et sec, ne possédant en ce monde que ses vêtements, deux stylos, un être de passage, et qui le sait. Il m’a écoutée le remercier d’un air ennuyé. Alors je n’ai plus rien dit. J’ai baissé les yeux au sol. J’ai dit : "moi aussi je veux partir de tout ce cirque".
"Et vous emportez tout" m’a-t-il répondu avec un léger sourire avant de s’en aller.
Il avait bien raison.