Nathalie Roussel est une artiste plasticienne qui vagabonde entre photographie, broderie, laine feutrée, dessin, collage, sculpture ou encore installations... En cette fin d’hiver, elle propose à Paris une exposition annonciatrice du printemps, Dans l’intimité d’une tulipe. En découvrant son travail, j’ai eu envie d’en savoir plus sur sa démarche.
Qu’est-ce que c’est pour vous la nature ? Comment vivez-vous votre relation à la nature, à votre environnement ?
diversité, multiplicité, foisonnement
force, puissance, parfois même violence impitoyable et écrasante
calme, silence même le vacarme de vagues de l’océan peut me sembler silencieux (comparativement aux productions sonores urbaines !)
tous les rythmes, tous les tempos, toutes les danses imaginables
lumière intense jusqu’à l’aveuglement, obscurité dense jusqu’à l’apeurement
fertilité, mutation, évolution, mouvement, création
fourmillement et pétillement
contrastes, contradictions
tout, mais jamais petitement
infiniment tout
Comment vous est venue l’envie de vous intéresser de si près aux fleurs ?
J’aime le végétal, depuis toujours, depuis que mes pieds nus se sont sentis chez eux dans l’herbe du jardin de mes parents, depuis les jardinières de capucines que je faisais pousser enfant. J’aime sa beauté, l’harmonie qui s’en dégage, l’audace qu’il manifeste et aussi sa puissance simple, tranquille et humble.
Dans mon activité artistique, il m’apparaît parfois qu’au-delà de l’aimer, c’est un peu comme s’il fait partie de moi et se manifeste, surgit de différentes manières parfois même à mon insu.
Ainsi, pour les photos "Intimité d’une tulipe", je ne peux pas vraiment dire que l’envie m’est venue de photographier les fleurs. Lors d’une promenade dans les jardins de Bagatelle, je me suis juste retrouvée à quatre pattes mon appareil photo à la main, nez à nez avec les fleurs du printemps. Le parfum des jacinthes accompagnait mon odorat, mais mon œil était totalement accaparé par les premières tulipes. Fascinée, je me suis approchée, de plus en plus près, et ai photographié sans réfléchir, un peu dans un état second. Ce n’est que, rentrée chez moi, devant mon ordinateur que j’ai vraiment vu le cœur de ces tulipes, vu la lumière du soleil sur et à travers elles, vu la beauté de leurs couleurs et de leurs formes, commencé à entrevoir le monde intérieur dans lequel elle pouvait m’emmener.
Ensuite, je me suis prise au jeu, et suis retournée maintes fois au Parc Floral à la découverte des tulipes, puis, après les tulipes, iris, pavots, lotus sacré, nymphéas et toujours les jours de plein soleil.
Êtes-vous fan de Georgia O’Keeffe ?
A vrai dire, je ne connais pas son travail ! Vous êtes la deuxième personne à me citer son nom à propos de mes photos... il va sans doute être temps que je fasse connaissance avec son œuvre !
Pourquoi avoir concentré votre exposition uniquement sur la tulipe ?
Sylvie Hauser souhaitait organiser une exposition annonciatrice du printemps. Dans cet esprit et aussi en raison des caractéristiques du lieu d’exposition, il nous a semblé préférable de centrer notre sélection sur une seule espèce florale. Et les photos de la série "Intimité d’une tulipe" que nous avons choisies manifestent pleinement l’énergie du printemps, elles nous entraînent vers cette saison avec peps, vivacité, force de vie et sensualité !
Si je vous dis "intimité" qu’est-ce que ce mot vous évoque ?
Intimité m’évoque proximité, intériorité, un espace privé dans lequel on entre seulement en montrant "patte blanche".
Dans la relation, intimité demande écoute, attention, présence à l’autre et à soi-même, une réciprocité donc, un échange attentif et aimant. Elle nécessite de se dévoiler, se montrer.
L’intimité d’une relation peut parler de sensualité et sexualité aussi, mais je trouve que ce serait la restreindre et l’étriquer que de la limiter à ce sens-là comme beaucoup de personne le font. Pour moi, la relation intime demande surtout de la profondeur et de la transparence, de la curiosité aussi... c’est là qu’elle peut côtoyer l’indiscrétion, rendre vulnérable voire devenir dangereuse : quand l’espace privé, personnel, réservé n’est pas respecté, ne peut plus exister, nous est interdit, je me demande même si cela ne peut pas devenir un risque mortel.
Le titre de ces photos m’est venu comme une évidence : je suis entrée dans l’intimité de ces fleurs, pas vraiment invitée mais totalement accueillie et aujourd’hui, j’offre mon regard intime sur cette rencontre à travers mes photos.
A vrai dire, j’ai souvent l’impression que les fleurs ne sont pas le sujet ni l’objet de ce travail, davantage un prétexte ou plutôt un moyen d’explorer la nature terrestre, d’entrer dans la matière, de la rencontrer, l’accepter, accepter les limites qu’elle m’impose et aussi d’en découvrir les beautés, même celles qui ne me sautent pas toujours aux yeux et au cœur a priori ! Finalement, explorer l’intimité de ces fleurs est une manière d’explorer ma propre intimité, ma réalité d’être humain, de découvrir et apprivoiser certaines facettes de la nature terrestre et humaine. Les photos sont une invitation à m’accompagner dans cette aventure, ou à faire un autre voyage encore !