L’étymologie réserve des surprises, c’est bien connu. A notre époque, les mots-publicitaires occupent largement le terrain : usés, ils ont tant et tant servi à (nous) vendre tout, n’importe quoi et le contraire de tout qu’on hésite à parler, à écrire, à se dire, à vous dire, à tenter de capter quelque chose avec ces pauvres vieux mots et pourtant.
Du mot obéir, dans un dictionnaire du CNRS on peut lire qu’il est mis en circulation au début du 12e siècle dans le sens de ’se soumettre à la volonté de quelqu’un".
Évidemment, le mot ne s’est pas construit tout seul et vient en ligne droite du latin oboedire : prêter l’oreille à quelqu’un. Je t’écoute, je t’entends, je prête l’oreille et tes mots me plaisent tant que je m’y soumets, docile.
Obéir donc, devenu dans n’importe quel dictionnaire : être soumis, se plier, se prêter à quelque chose, inféoder, obtempérer, suivre, se ranger, s’incliner, céder.
En français, on obéit même "au doigt et à l’œil" - les langues fourchent à cet endroit des étymologies mais on y lit la surveillance et la répression.
Le latin, - rien d’une langue morte puisqu’elle irrigue pratiquement tous nos mots -, le latin nous rappelle donc très clairement l’importance et l’impact du discours sur nos cerveaux, par conséquent sur nos actions. Et quoiqu’on en dise sur la faiblesse actuelle du langage : nous sommes dominés par le(s) discours.
Il y a les discours que je me raconte à moi-même évidemment, il y a le discours que je partage avec mes relations (appelons-le dialogue), celui de mon milieu professionnel, celui de mon milieu associatif, artistique, sportif... Tous ces discours, - parfois largement contradictoires puisque avancés par des humains, donc des créatures imparfaites -, convergent chaque jour dans mon cerveau, et dans le vôtre. Et ça fait beaucoup. Il faudrait encore ajouter, bien sûr, le discours musical des chansons, les discours littéraire, scientifique, religieux et (rarement hélas) philosophique et pourquoi pas le discours publicitaire aussi. Mais ce n’est pas fini : dans tout ce brouhaha, reste la voix intérieure. C’est-à-dire chez nous autres humains cette conscience (ou instinct) qui nous indique si souvent des directions, des pistes, des accointances, cette espèce de discours en nous qui fonctionne comme un sens et nous transmet ses messages hors mots mais que nous pouvons identifier. Souvent, l’écoute de cette voix instaure une distance, une zone de silence propice à la réflexion, à l’examen des autres discours.
Puis il y a enfin le discours de mon pays, doublé des discours des autres pays, qui touchent pratiquement tous les aspects de nos vies et auxquels je donne, en démocratie, ma voix, ou pas. Avec ma voix en main, l’homme ou la femme politique agit. Mais est-ce que donner ma voix politique m’oblige à obéir à tout ce que j’entends ? Prêter l’oreille peut-être, obéir certainement pas.
Depuis quelque temps déjà, je n’aime pas ce que j’entends en France et ailleurs. Certains disent qu’ils n’en croient pas leurs yeux, moi, je n’en crois pas mes oreilles. Et quand j’entends ce que j’entends, je n’en reviens toujours pas et m’en vais creuser ma zone de silence intérieur pour trouver comment régler mes actions selon des convictions humanistes, écologiques, solidaires et non-violentes - pas forcément évident.
Les crises actuelles sont si vastes qu’on ne sait plus qu’en dire et voient éclore chaque jour des paroles différentes, des médias, des produits, des voix qu’il y a encore peu on entendait qu’en tendant une oreille presque clandestine. Le jour se fait sur diverses formes de résistance et c’est un excellent signe d’humano-bio-diversité. Évidemment, il y a des dérives, l’écologie, sans parler du développement durable, devient par exemple, comme le disait une chamane limousine, "la nouvelle religion du siècle" et je ne compte plus les discussions où souvent des convaincus veulent imposer leurs vues sur tel prophète, tel gourou, tel bon, tel mauvais, dictant toujours ce qu’il faudrait croire et ne pas croire. Il suffit de replonger encore dans une racine de mot. Discuter vient de discutere, agiter, dialoguer vient lui du grec, dia-logos, à travers le langage.
Je repense à novembre 1999, à Seattle, où des gens qui n’acceptaient pas d’obéir à ce qui leur était dit on fait entendre leur voix assez fort pour arrêter un cycle de négociations. Qu’est-ce que je faisais ces jours-là ? Je ne sais plus. De mémoire je dirais que je devais travailler pour ne pas changer, que j’étais amoureuse peut-être, que je ne manquais de rien, voilà. Je commençais alors à avaler l’indigeste pilule de ce que je croyais être mon impuissance face à ces questions. Or, cet événement mineur au regard de l’histoire passée, cet acte de désobéissance collective, a permis de tendre l’oreille vers ce que des gens eux aussi humanistes, écologiques, solidaires et non-violents avaient à dire.
Que s’est-il passé ? "La Conférence ministérielle de Seattle (États-Unis) s’est réunie du 30 novembre au 3 décembre 1999. Son objectif était d’ouvrir un nouveau cycle de négociations multilatérales, sur la base des accords de Marrakech (1994) qui avaient conclu le cycle de l’Uruguay et initié l’OMC. L’un des enjeux de la négociation portait sur l’élargissement des discussions aux sujets suivants : la concurrence, l’investissement, la transparence dans les marchés publics, l’environnement, les normes sociales. Elle s’est conclue sur un échec : les délégations des 135 pays membres de l’OMC se sont séparées sans lancer le ’cycle du millénaire’." Sur les trois causes de cet échec, j’en cite deux pour ce texte : "les pays en développement ont manifesté une volonté sans précédent de faire entendre leur voix" et "l’opinion publique, ou plutôt les opinions publiques, ont fait irruption sur une scène jusque là réservée à des négociateurs spécialisés". (1) Ces voix-là venues de pays pauvres, en voie de développement et/ou émergents, ces voix-là de militants non-violents ont fait taire un moment les voix qui organisent ce monde pour qu’on s’y taise.
Dès que je suis dans ma zone de silence intérieur, je n’écoute plus le discours ambiant et je cesse déjà d’obéir aux innombrables injonctions qui bâillonnent ma conscience. Le silence donne courage.
Désobéir donc, - le mot est lâché et remonte au 13e siècle-, en faisant silence, désobéir oui mais surtout pas aveuglément.
Je joue sur les mots, je sais, mais eux aussi.
Désobéir : dissoudre les discours qui nous enchaînent à nos peurs, écouter autre chose et pas forcément une voix unique, résister aux sirènes d’un illusoire confort, aller résolument vers cette zone de silence intérieur, faire un pas vers la liberté de penser. Ce silence est un droit et nous en avons bien d’autres que nous ignorons. Désobéir, comme tant d’autres choses, s’apprend.
Eva Cantavenera
Juin 2009
(1) Source : B. Marre (PS), Rapport d’information sur la réforme de l’Organisation mondiale du commerce et son lien avec l’architecture des Nations unies : Vers une démocratie planétaire ? Les leçons de la conférence de Seattle, site de La Documentation française.
Apprendre à désobéir avec le collectif Les Désobéissants.
Écoutez l’appel lancé par les résistants de la Seconde Guerre mondiale pour "lutter contre la dictature internationale des marchés financiers" et proposer une "insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse".
Sur la force du silence, vois Les Cercles de silence, lire aussi L’éloge du silence de M. de Smedt et Le Monde du 17 mars 2009.